Un nouveau départ pour le Pré Bossu

Pendant une quarantaine d’années, l’hôtel restaurant « le Pré Bossu » de Moudeyres a été bien plus qu’une bonne adresse. L’établissement de Carlos et Marleen s’est positionné comme un phare de la gastronomie altiligérienne et comme un des piliers du développement touristique du Mézenc.

Tout ce que la Haute-Loire, mais aussi les départements voisins de la Loire, du Puy-de-Dôme ou de l’Ardèche compte de gastronomes et d’amateurs de bonne chère a certainement un jour franchi la porte de cette chaumière restaurée avec soin et décorée avec goût. Et ces locaux ont pu côtoyer des gourmets venant de toute l’Europe pour profiter de cette escale mémorable.

Tout a commencé en 1976, quand un jeune chef prometteur quitte sa Belgique natale pour poser ses valises dans un territoire qui l’a séduit. Carlos, qui n’avait pas encore sa légendaire moustache mais qui arborait déjà son œil malicieux et pétillant, décide de reprendre l’un des bistros du village de Moudeyres.

Rapidement, il fait évoluer la carte, réduit l’activité bar et développe une cuisine raffinée et goûteuse. Conscient du potentiel et de la qualité des produits locaux, et anticipant la demande que de nombreux clients exprimeront au fil des années, il décide de privilégier les saveurs des plantes aromatiques et les fruits rouges de son jardin, et travaille les légumes et les produits du Mézenc.



« Qui se soigne soi-même soigne un bon ami », confirme Carlos avec l’humour qui le caractérise. C’est ainsi qu’il inscrit rapidement à sa carte des plats originaux, légers et parfumés, qui ont fait sa réputation : les truites du lac de Saint-Front en papillotes, le pot-au-feu de pigeonneau à la crête de coq, les gnocchis aux lentilles vertes du Puy, et toujours, dès cette époque, un menu uniquement composé de légumes ; il est ainsi l’un des tout premiers chefs en France à prendre en considération la clientèle végétarienne.

Si Carlos est un cuisinier créatif, il peut aussi s’appuyer sur le savoir-faire de Marleen, dont les recettes et suggestions contribuent à enrichir la carte : le pot-au-feu d’escargots aux pointes d’ortie, les apéritifs à la fleur de sureau ou de gentiane ou les confitures proposées au petit déjeuner sont ainsi ses propres créations, et complètent le saumon mariné à la maison, les foies gras, le kramik ou le pain aux graines de sésame préparés sur place.

La qualité de sa cuisine est reconnue au fil des ans. Par les récompenses bien sûr (un macaron Michelin pendant une dizaine d’années, des références élogieuses dans le Bottin Gourmand, le guide Gault et Millau ou le Guide du Routard) ; par ses pairs (Pierre Gagnaire par exemple avait l’habitude d’y emmener toute son équipe lorsqu’il officiait à Saint-Etienne) ; mais aussi par une clientèle mêlant aussi bien les anonymes que les célébrités.

Marleen, qui a assuré le service avec le tact et la rigueur flamande dont elle ne se départit que rarement, se souvient. « Tous mes clients, riches et célèbres ou moins fortunés et inconnus, ont toujours eu pour moi la même importance, et je me suis efforcée de leur porter la même attention et le même respect ».

Au détour d’innombrables anecdotes elle évoque ainsi de grands noms : en 1982, toute l’équipe de tournage du film « le fou du viaduc » avec Jacques Dufilho venu en famille et qui tous les soirs répétait avec Jeanne Moreau une pièce de théâtre ; la Princesse du Liechtenstein qui avec sa femme de compagnie et son chauffeur remplissaient tous les matins ses paniers en osiers de fleurs fraiches cueillies dans le jardin ; Romain Bouteille qui venait régulièrement en voisin ; et cet avocat parisien habitué des palaces et des sites luxueux, qui exigea de fêter ses 40 ans de mariage au Pré Bossu, car c’est là qu’il se sentait le mieux pour réunir toute sa famille au milieu des jonquilles et des chibottes.

Mais le client qui a sans doute le plus marqué Marleen et Carlos est le Chancelier allemand Willy Brandt, à qui le Ministre allemand Oskar Lafontaine, lui-même familier des lieux, avait conseillé l’adresse. Si de nombreux politiques locaux ou nationaux venaient déjeuner professionnellement au Pré Bossu, le Chancelier, quant à lui, venait carrément en vacances incognito dans l’établissement, ce qui provoqua quelquefois des sueurs froides aux services de la Préfecture. Carlos se souvient ainsi qu’il poussait la porte de la cuisine pour demander qu’on lui prépare « une petite soupe » et Marleen veillait avec grande vigilance à faire respecter son anonymat dans la salle de restaurant.


 
Le Pré Bossu a aussi appuyé sa notoriété sur la qualité de son hébergement. Dans un cadre magnifique, en proximité des chaumières et des maisons en lauzes de Moudeyres, l’établissement labellisé « Relais du Silence » et « Châteaux et hôtels de collection » offre six chambres originales et entièrement refaites ces dernières années.

Carlos, qui vient de fêter ses 72 ans, souhaitait cesser son activité, et avait ces dernières années réduit considérablement sa plage d’ouverture.

Après avoir cherché le bon repreneur pendant de longs mois, avec un soutien sans faille de la CCI et de sa spécialiste Chantal Pillay-Barry, c’est à un jeune couple déjà très expérimenté que le relais a été transmis.
Eric et Christelle Celle, tous deux quadragénaires, cherchaient eux-mêmes depuis quelques années une belle opportunité de donner une nouvelle orientation à leur carrière. Parents de trois grands enfants, ils souhaitaient trouver une activité plus calme et moins stressante que leurs précédentes fonctions, et trouver un nouveau défi à relever, compatible avec leurs convictions et leurs envies. Après avoir cherché dans un rayon assez vaste, du Cantal à la Lozère et de l’Allier à la Loire, c’est finalement sur Moudeyres qu’ils ont jeté leur dévolu. Bien accueillis et déjà intégrés à l’activité communale, ils ne regrettent pas leur choix.

Eric, originaire d’Aurec-sur-Loire, a fait ses classes à l’école hôtelière du Puy, à l’époque où l’établissement ne s’appelait pas encore le lycée Jean-Monnet. En 1987, à l’âge de 17 ans, il remporte le concours du meilleur jeune cuisinier de Haute-Loire. Il fait des stages chez André Perier, à Yssingeaux, puis de nombreuses expériences dans une dizaine d’établissements différents. Dans tous ces postes, son « tour de France à lui », le conforte dans la nécessité de travailler les produits locaux, et de s’intégrer au plus près du terroir dans lequel il s’implante. Son séjour à Puy-Saint-Vincent, dans les Alpes, lui donne le virus de la montagne.

Entrepreneur dans l’âme, il crée à 21 ans une société de traiteur restauration dans les monts du Lyonnais, entreprise qu’il va diriger jusqu’en 2014 et qu’il revendra après l’avoir fortement développée. Et c’est dans cette entreprise qu’il embauche Christelle, qui deviendra sa femme. Christelle a elle aussi une véritable compétence en cuisine, après avoir fait sa formation à l’école hôtelière de Marlhes, dans la Loire. Si elle prévoit de passer quelquefois aux fourneaux, sa spécialité étant les desserts, c’est surtout à l’accueil et au service qu’elle va mettre en avant son sourire et son dynamisme.

Eric et Christelle ont beaucoup échangé avec Marleen et Carlos. Tous savent bien que le temps a passé et que le Pré Bossu des années 70 ou 80 n’est plus. Mais tous savent aussi que la magie du lieu perdure, et qu’une nouvelle page, sans doute très belle, est en train de s’ouvrir. Tous sont heureux aussi de redonner vie à l’offre de restauration de Moudeyres, avec un hôtel ouvert à l’année, et une restauration proposant à la fois des repas simples à midi et plus élaborés le soir en en week-end.





Et Carlos et Marleen, qui restent à la retraite à Moudeyres, ont déjà commencé à prendre leurs habitudes au nouveau « Pré Bossu » : avec bonheur, ce sont désormais eux qui sont dans la salle et qui découvrent d’autres spécialités qu’un jeune couple talentueux et sympathique, est en train de promouvoir.
Sans doute une belle transition ! L’avenir le dira !


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